Qui n’a jamais été jaloux en regardant les photos de vacances d’un-e ami-e, et qui n’a jamais rêvé d’avoir lui aussi une vie (apparemment) de rêve, semblable à celle (entrevue) de son copain ou sa copine, mère de deux enfants, divorcée récemment et heureuse comme tout ? A force de nous pousser à mettre nos vies en scène et à espionner les vies sublimées de nos proches, ces sites nous rendraient-ils tristes, jusqu’à nous déprimer ?

L’un des premiers réseaux sociaux, Facebook, a été créé pour faciliter le partage et les contacts entre élèves qui se croisaient ou se saluaient mais sans réellement se connaitre, dans le cadre d’une université (où étudiait Mark Z., élève plutôt timide mais plein d’idées et doué en informatique). C’est d’ailleurs dans les écoles et les universités américaines puis du monde entier que ce réseau s’est d’ailleurs développé avant d’atteindre la vie de « monsieur ou madame-tout-le-monde ».

L’ayant personnellement expérimenté sur le terrain à cette époque, il était vraiment génial de pouvoir visionner les photos ou vidéos de vacances des personnes qui les mettaient (souvent une fois rentrées chez elles) en ligne, puis de les croiser dans les couloirs et d’en discuter avec elles. Tout cela était bon enfant.  Mais c’était sans compter deux phénomènes humains : le voyeurisme et l’exhibitionnisme. Les deux allant de paire bien sûr.

Le réseau a bien grandi. Grâce aux réseaux téléphoniques qui ont considérablement évolué et ont permis de mettre les photos en ligne depuis n’importe où dans le monde et à n’importe quel instant. Il était devenu de plus en plus facile de demander à être « ami-e » (sans pourtant ni les connaître ni même les avoir rencontré) avec les milliers de personnes de la plateforme et ainsi de rentrer dans l’intimité de la vie de ces gens. Pour concurrencer leurs « copines » et pour les rendre jalouses, les filles ont commencé à s’exposer de plus en plus et à attirer, de ce fait, un grand nombre de garçons. Et de là, ce fut la surenchère… Jusqu’à arriver à certaines dérives dans les centaines de réseaux sociaux qui existent à présent dans le monde entier !

Dans les universités, ce ne sont désormais plus des élèves qui utilisent Facebook mais des chercheurs qui mènent des études sur ces réseaux sociaux et les comportements humains qui en découlent.

Comme l’a écrit CNET dans un article récent : Entre 2012 et 2017, plusieurs études, menées par l’université de Queensland, du Michigan et de Pittsburgh, ont démontré qu’une trop grande utilisation de « Facebook et compagnie » constituerait un facteur de dépression – et que les internautes qui utilisent plusieurs réseaux sociaux en même temps ont davantage de chances de déprimer, ou d’être angoissés, que ceux qui s’y rendent avec parcimonie. Car forcément, nous en venons presque tous à comparer nos vies, jusqu’à nous dévaloriser, parfois injustement.

Si nos messages sont ignorés, nous nous sentons tristes et seuls. Si les photos et statuts de nos amis sont (ou semblent) heureux mais que nous le sommes moins qu’eux, nous déprimons encore plus. Finalement, un véritable cercle vicieux s’installe – Facebook, Instagram et les autres nourrissant notre envie de « stalker » (NDLR : surveiller la vie de quelqu’un sur Internet) nos amis, mais entretenant aussi chez nous l’impression de valoir moins que les autres (qui eux ont une vie parfaite, du moins en images), et ainsi de suite.

Un usage compulsif qui déprime

C’est ce constat que l’affaire toute récente des Facebook Files vient de confirmer. Au beau milieu du Wall Street Journal issues des documents internes de Facebook  diffusés par la lanceuse d’alerte Frances Haugen, on trouve ainsi des recherches menées par des chercheurs d’Instagram, dont les résultats demeurent édifiants. Ils font ainsi état des effets néfastes d’Instagram sur la façon dont les adolescents voient leur corps. D’après ces recherches portant sur plus de 50 000 jeunes utilisateurs vivant dans 10 pays, mais surtout aux États-Unis et au Royaume-Uni, 40 % de ceux qui s’estiment « moches » disent que cette impression a commencé suite à leur inscription à Instagram.

L’étude interne de Facebook montre que la moitié des adolescentes comparent leur apparence à celle des autres sur Instagram. Et ces comparaisons basées sur l’apparence atteindraient un pic lorsque les utilisateurs ont entre 13 et 18 ans, baissant largement avec l’âge, les femmes de plus de 18 ans étant moins exposées (quoique…). Et si les filles semblent plus sensibles à cette dictature des apparences délétère, les garçons ne sont pas épargnés. Ainsi, 14 % d’entre eux déclarent que ce réseau social les fait se sentir mal dans leur peau. Sachant que, rappelons-le, les problèmes d’image corporelle sont l’une des principales raisons pour lesquelles l’utilisation des réseaux sociaux entraîne chez les ados de très nombreuses dépressions. Pouvant aller malheureusement jusqu’au suicide.

Dans le journal The Conversation, Jean Twenge, professeur de psychologie à la San Diego State University, rappelle de son côté que, justement, « plus un adolescent passe d’heures par jour sur les réseaux sociaux, plus il est susceptible d’être déprimé ou de s’automutiler ». Une étude menée au Royaume-Uni, indépendante et sans lien avec les recherches internes de l’entreprise Facebook, indiquait par ailleurs en 2019 qu’un quart des filles de 15 ans passaient plus de 5 heures par jour sur les médias sociaux, et que 38 % d’entre elles étaient cliniquement déprimées. En comparaison, parmi les filles qui utilisaient les médias sociaux moins d’une heure par jour, seules 15 % étaient déprimées. Il est dès lors facile de tirer des conclusions de ces chiffres mis en parallèle…

Les documents internes divulgués par Frances Haugen, ancienne chef de produit au sein de l’équipe chargée de l’intégrité civique de Facebook, viennent nous rappeler que Mark Zuckerberg et les équipes de la firme savent ainsi pertinemment que leurs plateformes, Facebook et Instagram, sont truffées de défauts qui les rendent toxiques, pour les adolescents comme pour les utilisateurs plus âgés. Mais pour rien au monde, Facebook ne changerait son business model, bâti sur les likes et le temps passé sur le réseau social. Car plus il y a de likes et plus les internautes sont connectés longtemps, et plus il y aura d’annonceurs et de publicités lues par ces mêmes internautes, et donc de profits qui se chiffrent en milliards. (il est d’ailleurs intéressant de voir, fin 2022, que Tweeter, repris par Elon Musk, vient de perdre presque 60% de ses revenus parce que les annonceurs ne font plus confiance au réseau à cause des « fake news ». Que va t’il se passer ? un réseau pourrait-il faire faillite et s’éteindre ? Voilà un prochain article à produire…) 

Addicts aux “j’aime”

Bien que les recherches internes de Facebook n’aient pas examiné les liens entre le temps passé sur Instagram et la santé mentale, les chercheurs ont demandé aux adolescents quels étaient, à leurs yeux, les pires aspects d’Instagram. L’une des choses que les adolescents « aimaient le moins » à propos de l’application était le temps qu’ils y passaient. L’étude indique notamment que les adolescents ont « un discours de toxicomane sur leur utilisation. Ils souhaiteraient passer moins de temps à s’en préoccuper, mais ils ne peuvent pas s’en empêcher ». Ainsi, les jeunes utilisateurs de Facebook et Instagram sont clairement conscients qu’ils passent trop de temps en ligne, mais ils ne réussissent pas à s’empêcher d’y passer quasiment tout leur temps libre. Au point que 35 % des ados aimeraient que les réseaux sociaux eux-mêmes leurs envoient des messages pour leur rappeler de faire une pause, ou pour les encourager à se déconnecter pour faire autre chose.

Mais comment expliquer cette addiction, aussi dure, finalement, que l’addiction à la drogue, à la cigarette ou aux jeux ? Au départ, si nous adoptons un usage frénétique des réseaux sociaux, c’est bien souvent pour combler un vide. En partageant des photos de nous, nous espérons (parfois inconsciemment) obtenir des “likes” et des commentaires amicaux, comme une sorte de récompense – qui nous réconforte, mais qui peut aussi nous rendre totalement addicts. C’est quand il n’y a aucune réponse en face que les choses se gâtent… “Si je mets une photo mais qui n’a pas de likes, je vais l’enlever très vite, car aujourd’hui, je ne supporte plus l’idée de perdre” note Michael Stora, psychanalyste et président de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH).

Les réseaux sociaux constituent aussi un miroir déformé, qui permet de se représenter pour mieux exister. Un bon moyen de sublimer sa vie, et de montrer à ses contacts une version idéalisée de soi. Et comme les autres font la même chose, et que tout le monde triche et se montre sous son meilleur jour, “l’exposition à des représentations très idéalisées de pairs sur les médias sociaux” finit par susciter chez certains “des sentiments d’envie, et la croyance déformée que d’autres personnes mènent une vie plus heureuse, avec plus de succès”, remarquent des chercheurs suisses, à l’origine d’une étude sur les “liens entre la fréquence d’utilisation d’internet et la santé des adolescents”.

Réduisez la cadence

Alors, que faire ? Quitter Facebook, Snapchat et Instagram, scènes du théâtre des faux semblants et du culte de l’image ? Une étude menée en 2016 par un chercheur danois, Morten Trombholt, baptisée “The Facebook experiment”, consistait à comparer des internautes utilisant d’un côté les réseaux sociaux comme à leur habitude, et d’autres ayant d’un autre côté cessé de s’y rendre, pendant une semaine.

Cette très légère “detox” aurait suffi pour rendre les cobayes volontaires moins tristes et plus satisfaits de leur vie sociale. Pas forcément heureux, mais moins déprimés, en nous évitant des “comparaisons sociales irréelles” (comparaisons vis-à-vis de nos amis, mais aussi des « influenceurs » qui aiment exhiber leurs photos retouchées) … et aussi en nous évitant de perdre (trop) notre temps (qui pourrait être passé avec des proches) à consommer de l’actu pas toujours joyeuse. “Passons-nous trop de temps sur nos téléphones au lieu de prêter attention à nos familles ?”, s’interroge ainsi David Ginsberg, directeur de recherche… chez Facebook.

La solution ? Pas forcément tout couper, mais juste d’apprendre à doser son utilisation des réseaux sociaux. Et apprendre aussi à s’aménager parfois de petites périodes de déconnexion. Enfin, essayer de ne plus autant sacraliser ce que nos contacts partagent sur les réseaux sociaux. En préférant, finalement, les relations sociales “IRL”, ou en tout cas les interactions directes (car discuter avec quelqu’un, en ligne, cela reste discuter avec quelqu’un), plutôt que celles réalisées par photos interposées. Des photos mises en scène, dans au moins 60% des cas.

Dites non à la FOMO (Fear Of Missing Out – Peur de Manquer Quelque chose) et aux apparences

Il serait illusoire de compter sur des lois qui réguleraient les plateformes, et à fortiori sur la bonne volonté de Facebook et Instagram (mais aussi Tik Tok, Snapchat, YouTube, Twitch…). Même si ces sites mettent en place des systèmes permettant de se fixer soi-même des limites de temps, ou d’usage, cela ne repose surtout que sur notre propre volonté. Instagram a bien prévu que les moins de 16 ans ne recevraient plus de notifications « push » après 21 heures, et les 16-17 ans après 22 heures, rien ne changera entre 8 heures du matin et 20 heures.

Il appartient donc aux internautes eux-mêmes de se prendre en main. Les adultes, en luttant contre leur peur de manquer quelque chose (FOMO), qui les pousse à vérifier sans cesse s’il y a de nouveaux contenus sur Facebook, ou si l’on a aimé leurs photos sur Instagram. Concernant les adolescents, c’est avant tout à leurs parents de jouer. En les sensibilisant sur les effets néfastes du FOMO, mais aussi du culte de l’image et de la représentation de soi, qui pousse à une comparaison mortifère. Les jeunes en ont conscience : « La raison pour laquelle notre génération est si perturbée et présente un taux d’anxiété et de dépression plus élevé que celui de nos parents est que nous devons faire face aux médias sociaux. Tout le monde a l’impression de devoir être parfait », déclarait ainsi une adolescente, lors des recherches internes de Facebook. « Les jeunes sont parfaitement conscients qu’Instagram peut nuire à leur santé mentale, mais ils sont obligés de passer du temps sur l’application par peur de manquer quelque chose », notent par ailleurs les chercheurs.

C’est pourquoi il appartient aux parents (mais aussi aux adultes qui gravitent autour d’eux, au collège / lycée notamment) de leur apprendre que les photos sur Instagram sont la plupart du temps retouchées, et passées sous des filtres. Sur Instagram ou Tik Tok, ces filtres sont drôles et ludiques… jusqu’au jour où l’on commence à se trouver mieux avec. Avec les risques de dérive que cela comporte, allant jusqu’à la chirurgie esthétique dans le but de ressembler au « visage Instagram », le fameux « Fox Eye », avec sa forme ovale, ses grosses lèvres et ses yeux tirés. Expliquer ainsi à ses ados à quel point ce culte de la perfection est dangereux, serait déjà un bon point.

Les parents peuvent ensuite expliquer en quoi « loin d’être le reflet réaliste de l’apparence d’une personne, la plupart de ces photos font la promotion d’objectifs impossibles à atteindre », observent des chercheurs australiens dans The Conversation. Donc en quoi elles sont factices. Autant que le sont certaines stars grâce à leur maquillage. Évidemment, adopter cette façon de relativiser et de dédramatiser ce que l’on voit sur les réseaux sociaux est aussi valable pour les adultes. Eux-mêmes pouvant s’efforcer de ne plus se comparer aux coachs sportifs et aux influenceuses refaites, bodybuildées ou passées sous filtre.

Alors que faire ? On le voit bien : chacun y trouve son compte et du coup, personne ne veut prendre la décision de modifier, couper ou réglementer l’utilisation des réseaux sur les portables, ordinateurs ou montres connectées. Il y a donc peu de chance que tout cela s’arrête prochainement. Sachant encore une fois que les milliards qui sont générés chaque jour par les publicités (trop) nombreuses qui parsèment toutes les applications, ne font que renforcer l’envie des grands groupes d’en diffuser toujours plus. C’est donc un jeu sans fin.

Serait-ce le début de la fin justement pour l’espère humaine ? on pourrait presque l’imaginer car il suffirait de tellement peu pour que le monde bascule vers le chaos en cas de coupures électriques trop longues, ou d’une éruption solaire qui mettrait fin à la vie de tous nos appareils électriques, nous privant non seulement des réseaux divertissants et angoissants, mais également de nos accès facilités à l’eau courante, le tout-à-l’égout, le retrait d’argent liquide au distributeur, au chauffage, à l’essence, à la lumière dans nos maisons ou appartements, etc…

On en reparle dans quelques années ? dès que vous aurez fini de lire cet article qui n’est autre qu’un réseau lui aussi…